MICHEL MOGLIA
L’esprit du feu

« Avec les sculptures sonores de Michel Moglia s’ouvre une histoire de souffle et de feu, de sirènes et de dragons, de lumières et de chants. Depuis plus de dix ans, ses Orgues de feu illuminent les nuits des villes de France et d’ailleurs, crachant au ciel leurs sonorités fantastiques.

Avant la découverte des possibilités sonores du feu, le parcours de Michel Moglia a démarré par quinze années d’étude de la flûte traversière classique, puis par l’apprentissage de la flûte peule du Sahara. Il a également été durablement marqué par sa découverte des danses de possession rituelles, lors d’un séjour de deux ans effectué au Niger au titre de la coopération. Ces différentes influences l’ont rapidement entraîné à remettre en question les concepts d’harmonie ou de beauté inhérents au monde musical occidental contemporain. « J’ai décidé un jour d’organiser ma propre vibration au sein du monde sonore foisonnant de notre planète. J’ai créé ainsi mon chant, finalement identique à celui d’un loup, mais avec des moyens humains, notamment l’usage du feu qui brûle en nous et qui organise notre respiration. Pour moi, le feu est passionnant parce qu’il est à la fois le Bien et le Mal. Gaston Bachelard le dit très bien dans « La Psychanalyse du Feu » :
« Le feu brille au Paradis et brûle en Enfer ».

De cette passion pyrotechnique naît en 1989 le premier Orgue de feu, basé sur un procédé permettant de transformer la chaleur d’une flamme en énergie sonore. En réalité, à l’origine, l’instrument n’avait pas de nom. Ce sont les premiers spectateurs et auditeurs qui l’ont nommé ainsi. Concrètement, il fonctionne grâce à une série de brûleurs alimentés au gaz liquide, qui projettent des flammes à l’intérieur de tubes en inox, fixés sur une structure métallique. La circulation de l’air chaud dans les tubes produit des signaux sonores qui évoquent étrangement le cri de certains animaux, réels ou imaginaires, tels le hurlement des loups, le chant des sirènes ou le rugissement des dragons.

Dans le passé, d’autres instruments musicaux utilisant l’énergie du feu avaient vu le jour. Ainsi le Pyrophone ou « flammes chantantes », perfectionnement d’un instrument antérieur appelé Armonica chimique, fut fabriqué par Frédéric Kastner au milieu du XIXè siècle. Là aussi, le principe de fonctionnement était le même. Des colonnes d’air contenues dans des tubes en verre étaient mises en vibration par des flammes. Plus près de nous, deux musiciens danois, Bastiaan Maris et Geo Homsy, ont inventé en 1992 le Large Hot Pipe Organ, un orgue fonctionnant au propane, contrôlé à distance par l’intermédiaire d’un système informatisé MIDI. Plus près de nous, le « mécamusicien » français Jacques Rémus a travaillé sur l’invention de Thermophones, fonctionnant, non plus au gaz, mais à l’aide d’une énergie produite grâce à de très basses températures. En dehors de ces quelques prototypes, on rencontre ici ou là quelques musiciens qui se sont livrés à diverses expérimentations basées sur des procédés analogues.

Pour son concepteur, plus qu’une simple sculpture, l’Orgue de feu est d’abord une formidable interface entre l’univers sonore et le monde du vivant. « Je ne me sens aucune affinité avec la lutherie, thermique ou pas. Je ne suis donc absolument pas un « facteur d’orgues à feu ». Je ne considère pas mes sculptures comme faisant partie du monde de la musique car elles n’ont pas pour rôle de dialoguer avec d’autres instruments de « musique » manipulés par des humains. J’aimerais qu’elles comblent en partie cette forme de chaînon manquant entre les vibrations fascinantes du monde sonore directement issu de la Nature, – chants des oiseaux, des loups, des baleines par exemple – et les manifestations sonores humaines. »

Dans cette recherche, rien n’est laissé au hasard, même si le résultat final comporte toujours une part empirique, indissociable de l’élément feu lui-même. Au regard des risques encourus, les contraintes de sécurité ont été poussées au maximum, bien au-delà des normes en vigueur. L’aspect extérieur de l’Orgue à feu est étroitement conditionné par l’ensemble des contraintes techniques qui ont contribué à sa construction. « On pourrait le comparer à un bateau à voile dessiné sans la moindre concession. Il est vital pour moi que l’aspect plastique ne soit pas « bricolé » sur un plan esthétisant, c’est-à-dire artificiel. Je me méfie d’ailleurs autant de mes goûts (en partie issus de mon éducation dans un monde donné, à un moment donné), que de celui du monde artistique actuel. »

En 1990, un Orgue de feu géant, fabriqué avec des tubes de pipeline, a vu le jour devant la centrale électrique de Dobrianka, près de la ville de Perm (Oural). Finalisée avec l’aide du Centre national des Arts Plastiques, cette performance exceptionnelle, tant au niveau technique qu’au niveau humain, a été réalisée à la demande des responsables de l’énergie soviétique, pour détourner le feu de la centrale et le transformer en sons. Ainsi est né le premier Chant thermique, concept scénographique gigantesque, unique en son genre, qui unit dans un même creuset art sonore et art visuel. Les spectacles ont toujours lieu la nuit, ou dans un lieu clos à l’abri de la lumière du jour. Ils mettent en valeur l’Orgue à feu, qui se déploie aujourd’hui sur vingt mètres de façade et neuf mètres de hauteur. Composée de cinq structures métalliques séparées, supportant environ 200 tubes inox, titane et verre de différentes longueurs et de différents diamètres, c’est une véritable « bête » de feux et de sons, un générateur de vibrations mystérieuses propres à enflammer les imaginations les plus stériles.

Sur l’Ile de La Réunion, un autre instrument en acier inoxydable a été construit, avec la participation active de plasticiens, de musiciens et de danseurs issus de la scène locale. Réalisé en 1999 à l’occasion du millénaire de la ville de Saint Pierre, il a été entièrement fabriqué sur place. Un autre encore, conçu pour l’ouverture du Festival d’Art Scénique, se trouve à Sao Paulo (Brésil), où il est devenu propriété du Service Social du Commerce.

Outre l’Orgue de feu, la famille évolutive et informelle mise en œuvre dans les Chants thermiques  comprend également des balanciers, continuos, flûtes et souffles thermiques, manuels ou automatiques. »

Extrait du livre LES CHERCHEURS DE SON de Gérard Nicollet et Vincent Bruno (Editions Alternatives)