La « Nature »

Les premiers sons d’origine thermique sont liés à l’apparition d’une atmosphère terrestre issue du volcanisme, de diverses éruptions qui, longtemps, ont fait vibrer la croûte terrestre. Les masses d’air inégalement réchauffées par le soleil génèrent toujours les orages et le déchirement fulgurant de la foudre. Le souffle des vents, les rythmiques issues du ressac des océans, le martèlement de la pluie sur les feuillages composent une fantastique symphonie pour air, eau et feu, qui a précédé l’apparition de la vie terrestre et accompagne toujours nos existences..

La « Culture »

Beaucoup plus proche de nous, fin dix-neuvième siècle, André Lavignac, musicien, et Erich Kästner, physicien, conçoivent le Pyrophone, premier instrument de musique fonctionnant avec du feu. Il utilise le gaz d’éclairage, est muni d’un buffet d’orgue en noyer verni et ses quelques touches lui permettent de produire une dizaine de notes difficiles à maîtriser. Finalement, la sensibilité positiviste de l’époque lui préfèrera sans équivoque les instruments tempérés car le pyrophone, en fonction des variations de température, joue « faux ».
Il sera rapidement oublié. Deux exemplaires sont conservés, l’un au Musée de Strasbourg et l’autre dans un musée à Londres.
Essor désormais des synthétiseurs, fonctionnant avec l’énergie électrique, parfaitement quantifiable et maîtrisable…

Au vingtième siècle, des créateurs inspirés comme John Cage (avec ses pianos préparés) et Giacinto Scelsi, (mise en valeur des micro-tonalités), relanceront indirectement l’intérêt pour les instruments non tempérés et la notion d’aléatoire…

 Mes Chants thermiques :

A l’opposé du Pyrophone, j’ai conçu mes instruments thermiques pour permettre aux vibrations complexes, aléatoires, de naître et de s’organiser entre elles. (phénomènes de sympathie en fonction des fréquences. )

Je cherche à transformer l’énergie du feu en un univers sonore et visuel où se mêlent Nature et Culture.
Le lien reliant ces deux pôles, aujourd’hui artificiellement séparés, est mon fil conducteur.
Bien souvent,  nous avons perdu conscience de la force symbolique des éléments qui ont entouré la naissance de la Terre et de la Vie…

La vie secrète de notre organisme, le souffle de notre combustion interne, notre affectivité, ainsi d’ailleurs que le mystère global de nos vies qui naissent puis déclinent comme un incendie, tout cet ensemble dont nous avons peur autant que du feu est sans doute assez proche des fluctuations sonores issues des instruments thermiques.

Introduction à la sculpture sonore :

« Césaire respira les quatre coins du ciel.
« Il fait du vent, il dit, il fait notre vent, berger. On va pouvoir jouer. »
Au vif de la lune, dans ce rond d’herbe courte que le bois embrassait, un beau pin lyre dressait ses deux troncs.
Comme on approchait, l’arbre se mit à chanter d’une voix qui était à la fois humaine et végétale. Je vis qu’on avait asservi les deux cornes de l’arbre par la traversière d’un joug creux ; on avait tendu neuf cordes du joug au pied de l’arbre : ainsi, il était devenu une lyre vivante, à la fois de l’ample vie du vent, de la sourde vie des troncs gonflés de résine et de la vie toute saignante de l’homme.
Le berger toucha les cordes pour en doser la force. On entendait tomber ces sons, en bas, dessous, en plein maquis, et les feuillages grondaient comme sous les larges gouttes d’un orage. Enfin, le berger s’adossa au grand tronc recourbé, il étala ses mains au plein des cordes et il attendit le vent.
On l’entendait : au-delà des vallées, les larges plateaux sifflaient déjà sous lui comme du fer qu’on trempe ; il arriva.
Il arriva et, tout aussitôt, du haut du palier de la colline s’élança le chant aux trois vies.
L’arbre tout entier vibrait jusque dans ses racines et du large emplein de ses doigts l’homme serrait les rênes au beau cheval volant : tout le ciel ruisselait au travers de la lyre. Alors, une grêle d’oiseaux tomba de la nuit et, comme des pierres en marche, les moutons se mirent à monter à travers le bois.
Ils sortaient doucement de la barrière des arbres. Ils venaient, pas à pas, un par un, sans bruit. Ils étaient là, la tête basse, à écouter, et la corne des béliers traînait dans l’herbe, et l’agneau tout tremblant se cachait sous le ventre de la brebis.
Sans bruit !
Parfois seulement, au fond de l’herbe, les bêtes soupiraient toutes ensemble. Les collines faisaient silence. L’homme donnait une voix à la joie et à la tristesse du monde. »

Jean Giono
Le serpent d’étoiles